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Histoires de survivants

Transmettre Hiroshima (1) Objets recueillis à l’épicentre Montre-bracelet du père

Mort dans le Dôme. J’aimerais que les gens imaginent ce qui s’est passé là

 Fumiya IKEDA (80 ans) habite à Kaniyachô, dans l’arrondissement de Minami. « Si seulement cette montre-bracelet pouvait parler... », murmure-t-elle, tandis qu’elle tient dans ses mains ce souvenir de son père. C’est à l’intérieur du Dôme, où elle s’était rendue avec sa mère, qu’elles ont retrouvé cette montre-bracelet carbonisée dont le boîtier ne laisse plus apparaître que l’inscription « SWISS MADE ».

 « Tous ceux qui étaient dans l’enceinte du bâtiment sont morts instantanément. Ils étaient une trentaine », peut-on lire dans le second volume de l’ouvrage édité par la ville de Hiroshima, Archives sur les désastres de la bombe atomique.

 Il fut impossible d’identifier les restes de la plupart de ceux qui se trouvaient dans le Dôme, situé juste en dessous de la bombe lorsqu’elle a éclaté. Cette montre-bracelet que la famille IKEDA a donnée au Musée commémoratif de la bombe de Hiroshima, est l’unique objet parmi les collections du musée qui ait été porté par l’une des victimes dans l’enceinte du Dôme.

 Le 6 août 1945, le père, Shigeyoshi, âgé alors de 52 ans, avait quitté de bon matin le domicile familial de Senda-machi (aujourd’hui arrondissement de Naka-ku) pour son bureau de la Compagnie des Pétroles du Kansai, situé dans le Pavillon préfectoral de Promotion de l’Industrie, rebaptisé par la suite Dôme de la bombe A.

 Fumiya, alors écolier de la Senda Kokumin-gakkô (aujourd’hui, école primaire Senda), sa mère Kokiku, 47 ans, son grand frère Hiroshi qui en avait 23 et trois autres membres de la famille étaient réunis dans leur maison au moment de l’explosion. Son frère aîné, grièvement blessé à l’œil droit par un éclat de verre, fut hospitalisé pour la nuit à l’hôpital de la Croix-Rouge de Hiroshima.

 Le lendemain matin, la mère et l’oncle partirent à la recherche du père. Ils longèrent à pied la ligne de tramway jusqu’à la zone de l’épicentre. « Nos semelles étaient brûlantes lorsque nous parvînmes au Dôme. Celui-ci n’était plus qu’un amas de débris de briques et la rivière Motoyasu charriait d’innombrables cadavres. »

 « Deux jours plus tard, le 9 août, nous repartîmes pour le Dôme. Sous une montagne de gravats, nous découvrîmes un squelette, il semblait encore assis à son bureau ; c’était celui de mon père. Ma mère le reconnut à un petit morceau resté intact du pantalon qu’il portait. Nous emportâmes, enveloppés dans un fichu, la montre qu’il aimait tant et quelques fragments d’os.

 Ma mère chercha aussi Kazuo, mon frère aîné de cinq ans, réquisitionné pour le travail. Hélas, ce fut en vain... »

 Au lendemain de l’explosion qui leur avait enlevé celui qui faisait vivre la maison, la mère vendit ses kimonos et Hiroshi, le grand frère qui avait perdu l’œil droit, se mit au travail pour subvenir aux besoins de la famille. Fumiya poursuivit des études à l’université et trouva un emploi chez un revendeur de voitures. Hiroshi mourut en 1977. Mais, dans la famille, jamais personne n’évoqua l’explosion.

 En 1985, après en avoir discuté avec Fumiya, la mère décida de confier au Musée commémoratif de la bombe de Hiroshima la montre-bracelet, placée jusqu’alors sur l’autel bouddhique familial. « Même si elle ne l’a jamais dit, elle souhaitait que les générations futures sachent ce qui s’est vraiment passé ce jour-là », pense aujourd’hui Fumiya. Sa mère, Kokiku, mourut en l’an 2000, à l’âge de 101 ans.

 Fumiya qui n’avait pas davantage le désir d’évoquer son expérience, n’a jamais rien raconté à son petit-fils, qui vient d’entrer au lycée. « Plutôt que de lui en parler, je souhaite qu’il regarde cette montre-bracelet. J’aimerais que les jeunes imaginent ainsi ce qui se passerait en cas d’usage d’une bombe atomique ». Cette mission, c’est à ce souvenir de son père défunt qu’il l’a dévolue.

(article du 3 février 2014, édition du matin)

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