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Chronique & Article de fond

« Ceci est notre cri. Ceci est notre prière. Pour construire la paix dans ce monde » : Phrases gravées sur le Monument de la paix des enfants qui célèbre son 60ème anniversaire

Le 5 mai 2018, le « Monument de la paix des enfants (littéralement, Statue des enfants de la bombe A) » a marqué le 60ème anniversaire de son inauguration dans le parc du Mémorial de la Paix d’Hiroshima. La campagne pour construire ce monument a été lancée par d'anciens camarades de classe de Sadako Sasaki, une fillette qui a été irradiée par la bombe atomique à l’âge de deux ans et 10 ans plus tard, elle est décédée de leucémie. Dans son lit d'hôpital, Sadako a plié des grues en papier avec l'espoir que son souhait d'être à nouveau en bonne santé sera réalisé, car selon une ancienne tradition, celui qui plie un millier de grues peut voir son souhait exaucé. A cette occasion, nous allons réfléchir au rôle de ce monument dans la situation actuelle du monde où le chemin vers l’abolition des armes nucléaires reste encore long.

Le monument devint un endroit de « champ magnétique » de prière pour la paix

Des milliers de grues en papier magnifiquement colorées entourent le « Monument de la paix des enfants ». Ici, les visiteurs font des prières silencieuses pour la paix. Parmi des élèves japonais venus dans le contexte de leurs études sur la paix, on remarque de nombreux visiteurs internationaux. Le nombre de grues en papier envoyées du Japon ainsi que des pays étrangers est d’environ 10 millions par an et son poids est d’environ 10 tonnes. Selon les registres documentés depuis l’année 2002, près de 200 millions de grues en papier ont été envoyés pour le monument.

Ces chiffres ne seraient-ils pas une preuve du fait que ce monument et les histoires liées à sa construction ont joué un rôle important dans le contexte des appels croissants pour l’abolition des armes nucléaires ainsi que de l’adoption du traité d'interdiction des armes nucléaires aux Nations Unies l’année précédente ?

L’histoire du monument commence par la solidarité des camarades de classe de Sadako. Lorsqu’ils étaient en fin de sixième année à l'école primaire Noboricho (maintenant partie du district de Naka), ils ont créé un groupe appelé « Danketsu no Kai (groupe de solidarité) » juste après l’hospitalisation de Sadako afin de la consoler et l’encourager. Les membres du groupe lui ont promis de lui rendre visite à l'hôpital même après leur entrée au collège, mais Sadako est décédée en octobre 1955, huit mois après son hospitalisation. Les élèves ont alors décidé de créer une statue qui pourrait apaiser l’esprit de Sadako mais aussi celui de tous les enfants qui ont perdu la vie suite au bombardement atomique.

Leur campagne a pris de l'ampleur lorsque des élèves des autres écoles d'Hiroshima l’ont rejointe. Ensuite, des lettres et des dons ont été envoyés de tout le Japon, dans le contexte du soutien public croissant à l'interdiction des bombes atomiques et des bombes à hydrogène après qu'un bateau japonais de pêche au thon « Daigo Fukuryu Maru » ait été exposé aux retombées radioactives suite à l’explosion d'une bombe à hydrogène, testée en 1954 par les États-Unis sur l’atoll de Bikini. Au pied du monument, l’épitaphe conçue par les élèves d’Hiroshima de la campagne est gravé comme suit : « Ceci est notre cri. Ceci est notre prière. Pour construire la paix dans ce monde ». Le sentiment traduit dans ces phrases était le souhait des enfants de cette époque…

Peu après l’inauguration du monument en mai 1958, cet endroit est devenu un « champ magnétique » destiné à prier pour la paix. M. Masahiro Sasaki (76 ans), frère aîné de Sadako a expliqué cet aspect du monument en disant que : « C’est un endroit où les espoirs des gens s’unissent, quelle que soit leur nationalité. Ils offrent non seulement des grues en papier, mais aussi leurs cœurs, au monument. »

En juin 1958, le « Hiroshima Paper Crane Club » a été fondé. Le fondateur du club était M. Ichiro Kawamoto (décédé en 2001 à l'âge de 72 ans), l’homme qui avait initialement proposé la construction du monument aux camarades de classe de Sadako. M. Kawamoto a poursuivi, avec les enfants, les activités du club telles que nettoyer autour du monument et offrir des grues en papier aux visiteurs d’Hiroshima venus de pays étrangers.

Le 5 mai de chaque année, en pensant à la volonté de M. Kawamoto, une cérémonie commémorative du monument est organisée. Mlle Yumi Ishihara (18 ans), étudiante de première année à l’Université municipale d’Hiroshima, prévoit sa première participation à la cérémonie. « La présence du monument pourrait contribuer à renforcer notre lien avec la paix, un souhait commun aux êtres humains », a-t-elle déclaré.

Cependant, étant donné que le monument a été construit il y a 60 ans et que le socle qui supporte la statue d'une fille en bronze est en béton armé, la détérioration est inévitable. La ville d’Hiroshima, qui supervise le monument, vérifie régulièrement son état et effectue les réparations nécessaires. Mais des mesures de maintenance plus importants pourraient être nécessaires à l'avenir.

M. Satoru Ubuki (71 ans), ex-professeur à l’Université Hiroshima Jogakuin et spécialiste de l’histoire de l’après-guerre de la ville bombardée, a souligné que la campagne pour construire le monument était un « premier mouvement de paix » principalement mené par des enfants impliquant des personnes dans le monde de l’éducation. Il a déclaré que : « Le monument né à Hiroshima est maintenant connu dans le monde entier. C'est une source d'inspiration pour les enfants dans la réflexion sur la paix. Cependant le défi consiste à examiner comment nous transmettons à la prochaine génération, ce que nous apprenons du monument ».

D’anciens camarades de Sadako racontent leurs histoires sur le Monument de la paix des enfants

Les camarades de classe de Sadako, nommée « Classe Bambou » qui ont lancé la construction du « Monument de la paix des enfants » sont de nouveau très actifs pour collaborer avec le Centre de documentation de la paix appelé « Nobori Heiwashiryoshitsu », créé à l’intérieur de leur école primaire le 12 mai 2018. Ce centre présente au public, 20 objets et des documents concernant la construction du monument ainsi que des grues en papiers que Sadako a plié pendant son séjour à l’hôpital.

Juste avant l’inauguration du Centre, huit ex-camarades de Sadako se sont réunis. Parmi eux, M. Kiyoshi Yamamoto (75 ans), habitant du district d’Asakita, a déclaré : « nous avons miméographié les tracts de la campagne jusqu’à très tard dans la nuit. Nous avons vraiment fait de notre mieux. ». Mme Shizuko Mizuno (75 ans), habitante du district de Nishi a participé à des activités de collecte de fonds pour le monument presque chaque semaine. En se rappelant de ses expériences, elle a dit : « A haute voix, j’appelais les passants au don, mais la plupart des gens m'ont ignorée »

Mme Tomiko Kawano (75 ans), habitante du district de Naka étudiait dans la même classe que Sadako entre la deuxième et la sixième année de l’école primaire. Par ses activités actuelles en tant que conférencière transmettant ses expériences du bombardement atomique ainsi que par son livre auto-publié, Mme Kawano a exprimé que c’était la solidarité de la « Classe Bambou » qui a mené à la création du monument.

« Après le décès de Sadako, j’avais peur de mourir dans un proche avenir, car j’avais aussi été irradiée par la bombe atomique. J’avais aussi des remords parce que je ne lui avais pas rendu visite à l’hôpital très souvent après mon entrée au collège. Personnellement, ces sentiments m’avaient poussé à faire quelque chose pour Sadako et donc, j’étais tout de suite d’accord pour lancer la campagne de la construction du monument », a déclaré Mme Kawano. Beaucoup plus tard, soutenue par les entreprises de la préfecture d’Hiroshima, elle a également lancé un projet d’envoi de cahiers gratuits, fabriqués à partir de papier recyclé provenant des grues en papier offertes au monument, aux écoles primaires et secondaires d’autres pays.

Mme Hiromi Sorada (75 ans), habitante du district de Minami conservait une grue de papier pliée par Sadako, qui lui avait été offerte à l’époque comme souvenir d'elle, a apporté cette grue de papier à son ex-école primaire en guise de don. M. Yasushi Shimamoto (57 ans), directeur de l’école, a déclaré : « La grue en papier offerte par Mme Sorada est un objet-document précieux qui peut fait ressentir à nos étudiants que Sadako était une ancienne élève de cette école. Nous hériterons de la volonté des camarades de classe de Sadako et poursuivrons nos efforts pour l’éducation à la paix »

Le mouvement mille grues en papier pour le monde

Des grues en papier sont envoyées du monde entier pour être offertes au « Monument de la paix des enfants ». Selon la ville d'Hiroshima, durant 10 ans, de 2006 à 2016, des grues en papier ont été offertes au monument par 113 pays et régions.

Une école à Heckenbeck en Allemagne, va envoyer bientôt un mille grues en papier pour le monument. Les élèves de cette école ont fabriqué les grues en réponse à une demande du « Thousand Crane Club » de l'école internationale d'Hiroshima, située dans le district d'Asakita. Apprenant l’origine des grues en papier de Sadako ainsi que l’histoire de la campagne pour construire le monument, les étudiants de l'école internationale d'Hiroshima a fondé ce club. Les membres du club apportent au monument les grues en papier dès qu’ils les reçoivent d’autres écoles du monde.

D’après Yuya Naka (17 ans), chef du club, le nombre d’envoie des grues en papier a augmenté depuis la visite de l’ex-président des États-Unis Barack Obama à Hiroshima en 2016. « Nous aimerions demander à encore plus d’écoles de nombreux pays d’envoyer des grues en papier afin que nous puissions transmettre au reste du monde, ce qui s’est réellement passé à Hiroshima », déclare-t-il avec enthousiasme.

Un autre fait remarquable : après avoir visité le « Monument de la paix des enfants » au parc du Mémorial de la Paix d’Hiroshima, des touristes internationaux ont lancé le mouvement pour la paix, impliquant des grues en papier dans leurs propres pays ou régions pour promouvoir la paix dans le monde.

Les étudiants de l'école Punahou à Honolulu, Hawaii, visitent souvent Hiroshima. Depuis 2013, ils participent au « Projet Sadako » dans lequel ils donnent des instructions pour plier une grue en papier aux personnes visitant Pearl Harbor. Mme Hiromi Peterson (69 ans), ancienne enseignante de cette école est de la deuxième génération des survivants de la bombe A. Elle a déclaré avec conviction : « La grue en papier est devenue un symbole de la paix et de la réconciliation ».

Au Brésil, Mme Ligia Oizumi (34 ans), mène depuis deux ans une campagne visant à envoyer des grues en papier dans différents hôpitaux situés dans des zones de guerre du monde, en transmettant le message « Pour 1 vœu, 1000 grues ».

On dit que l'histoire de Sadako a été tout d’abord connue dans le monde lorsque Robert Jungk, journaliste allemand-autrichien a publié en 1958 son livre « Plus clair que mille soleils ». De plus, l’histoire de Sadako est de plus en plus répandue dans le monde entier grâce aux deux autres livres : « Sadako Will Leben » écrit par Karl Bruckner, écrivain autrichien et publié en 1961 ; « Sadako et les mille grues en papier » écrit par Eleanor Coerr, écrivain américain et publié en 1977.

Le comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo a récemment créé la campagne « Peace Orizuru » visant à demander à de nombreux japonais de plier des grues en papier et d'envoyer leurs images photographiées à Tokyo pour célébrer la trêve olympique pendant les Jeux de Tokyo en 2020. Et l’école primaire Noboricho où Sadako a étudié, a été choisie comme lieu pour lancer cette campagne. En tant que symbole de la paix, le « Monument de la paix des enfants » semble jouer un rôle de plus en plus important.

Écrit par Miho Kuwajima et Sakiko Masuda, publié initialement le 30 avril 2018
Traduction : Kuniko Satonobu

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