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Éditorial & Opinions

Étude du discours d’Obama : Yasuhiro Inoue, un professeur d’Hiroshima, nous parle de l’encourageante révision du discours officiel de Washington sur la bombe atomique par le Président.

Le discours prononcé par le président américain Barack Obama, lors de sa visite à Hiroshima, a été reçu de manière mitigée. De nombreuses personnes ont fait part de leur déception, car il n’a prononcé aucune excuse concernant le bombardement atomique ou parce qu’il n’a pas présenté d’idée plus concrète pour faire progresser le processus de désarmement nucléaire. En revanche, son discours contient également des aspects importants qui n’ont pas été soulignés.

Lors de son élocution, le président a indiqué de manière précise combien de personnes ont été tuées par le bombardement, et ce qu’il a détruit. Cela modifie le discours officiel adopté par le gouvernement américain. Permettez-moi de discuter de l’importance de ce point, car il remet en cause le mythe, selon lequel le bombardement atomique était un acte justifié.

Selon le point de vue officiel des États-Unis qui se base sur des informations apportées par l’Étude américaine des bombardements stratégiques, le nombre de décès provoqué par la bombe atomique d’Hiroshima, s’élèverait à 71 379 morts. 84 673 morts, qui seraient le nombre total de victimes provoqué par les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, sont souvent donnés à tort comme étant le nombre de morts d’Hiroshima.

Ces données incorrectes, ou celles qui en sont proches, sont souvent utilisées par les médias et aussi dans les articles scientifiques d’historiens et des politologues américains ou d'autres régions du monde.

Jusqu’où cela peut-il mener ? De tels chiffres sont régulièrement employés pour minimiser les dommages causés par la bombe atomique : « Le bilan est plus faible que les 100 000 morts causés par les bombardements incendiaires de Tokyo, et l’ampleur des dégâts était également plus faible. » « Le bombardement d’Hiroshima ne peut pas être comparé au siège de Leningrad. »

J’étudie la manière dont le bombardement a été couvert par les médias américains et ceux du monde entier, et la manière dont cela a affecté l’opinion publique vis-à-vis de ces attaques. J'analyse également les facteurs de décision qui ont mené au bombardement ainsi que la manipulation des informations.

Dès que je vois dans des articles de presse ou des articles scientifiques, des données comme « 70 000 morts », ou « 80 000 morts », en référence au nombre de décès à Hiroshima, je me mets à soupirer puis je me dis : « Non, plus jamais ! » Puis, si ces articles de presse ou ces articles scientifiques poursuivent en sous-estimant l’ampleur du dommage, bien que je sois chercheur, je me mets à ressentir une profonde tristesse ainsi que de la colère.

Mais dans son discours à Hiroshima, Monsieur Obama a exprimé avec clarté que « plus de 100 000 » personnes avaient été tuées. Au sein du gouvernement américain, ainsi que la Maison Blanche, il a dû y avoir des débats sur ce nombre, et il semble qu’ils se soient arrêtés sur un nombre : « plus de 100 000 » ne démentant pas le réel bilan qui est d’environ 140 000 morts.

Ce chiffre est incapable de donner une véritable idée des dégâts provoqués par la bombe atomique. Toujours est-il, que les données longtemps énoncées par le gouvernement américain avaient pour but de manipuler la vérité et de minimiser les réels dommages causés par la bombe. Par conséquent, la correction apportée par le discours du président Obama, à propos des « 70 000 morts », qui est un chiffre erroné, est quelque chose de significatif.

Mais plus important que ces données, ce sont les vies qui ont été prises par la bombe atomique et ce qu’elle a détruit.

Au cœur de l’argumentaire ayant justifié le bombardement atomique d’Hiroshima, il y a l’élocution faite par le président Harry S. Truman, qui a donné son feu vert pour frapper la ville.

Le président Truman a déclaré : « La première bombe atomique a frappé Hiroshima, une base militaire. C’est parce que nous souhaitions, lors de cette première attaque, autant que possible, éviter le meurtre de civils. »

C’est à partir de là, que le gouvernement américain n’a cessé de manipuler les informations et c’est ainsi que le Mythe, ou plutôt le mensonge, a été créé : « La bombe atomique a détruit les usines militaires et les dépôts de munitions japonais, ce qui a mené à sa reddition. Grâce à ça, la vie de plus d’un million de soldats américains ainsi que celle de bien d’autres Japonais ont été sauvées.»

Monsieur Obama devient le premier président des États-Unis à dire que la bombe atomique a détruit la vie de civils, en faisant référence aux « femmes et enfants », qui sont aussi devenus des victimes. De plus, il n’a pas qualifié la ville de « base militaire ». C’est peut-être la première fois que le gouvernement américain prend une telle position et un tel discours touchera la conscience du peuple américain.

C’est un aspect important, car le discours du président Obama sert a réfuter et réviser celui du président Truman, qui a été le point de départ du mythe sur la bombe atomique. Les discours et déclarations faits par les présidents sont considérés comme officiels et perdurent, portant préjudice pour toujours, s’ils ne sont pas corrigés.

Un exemple est le « Discours de la Réconciliation », fait par le président George Bush le 8 décembre 1991 (la date japonaise), dans lequel il a déclaré : « Je n’ai pas de rancœur... Aucunement. » Cette élocution reprend le contenu du « Discours de l’Infamie » fait par le président, Franklin Delano Roosevelt, qui appelle à une « victoire écrasante » en réponse à l’ attaque « ignoble » du Japon sur Pearl Harbor.

« Le discours du président Bush a fait une grande différence », explique Daniel Martinez, un historien fonctionnaire travaillant pour le Service des Parcs Nationaux des États-Unis. « Il a changé la perception de Pearl Harbor, de « la honte » à « la réconciliation ». Auparavant, le film qui était montré aux visiteurs exprimait l’amertume envers le Japon, mais le film actuel, met l’accent sur le deuil des victimes de la guerre.

L’exposition du musée traite principalement de l’histoire qui a conduit à l’ éclatement de la guerre entre les États-Unis et le Japon. Un autre symbole de la réconciliation est l’origami en forme de grue, confectionné par Sadako Sasaki, qui était exposé au Centre d’Accueil des Visiteurs de Pearl Harbor en 2013.

Cela va prendre du temps, mais je crois que le discours du président Obama est maintenant une preuve officielle pour faire disparaître le mythe autour des bombes atomiques ainsi que l’argumentaire justifiant ces attaques.

Profil :
Yasuhiro Inoue
Il est né dans la ville de Yamaguchi dans la préfecture du même nom. Il a travaillé comme reporter pour le jounal Mainichi. Il a fait son doctorat à l’Université de l’Etat du Michigan. Il a commencé à travailler à l’Université Municipale d’Hiroshima en 2001, et est devenu professeur à la Faculté des Études Internationales en 2007. Il est spécialiste de la politique, des médias, de la presse américaine et d’Internet et de la Société. En avril 2013, il a été invité en tant que chercheur pendant un an, à l’Université d'Hawaï à Manoa. Ses livres englobent la compréhension des médias.

Publié le 1er juin 2016
Écrit par Yasuhiro Inoue, professeur à l’Université Municipale d’Hiroshima
Traduit par Clarisse Torregrossa

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