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Déclaration de paix de Nagasaki

« Plus aucun hibakusha »
 Ces mots expriment le souhait venu du fond du cœur des hibakusha, les victimes des bombardements nucléaires, que dans l’avenir et pour toujours plus aucune personne n’ait à faire la terrible expérience des armes nucléaires. Cet été, ce souhait a incité de nombreux pays à travers le monde à s’engager et a donné naissance à un traité.

 Ce Traité sur l’interdiction des armes nucléaires interdit bien entendu aux pays d’utiliser de telles armes, mais leur interdit également d’en posséder ou de les déployer. Son adoption par 122 États, plus de 60 % des États membres de l’ONU, montre que le travail long et persévérant des hibakusha a porté ses fruits.

 De notre côté, nous avons presque envie d’appeler ce traité, qui parle si bien de la souffrance et des efforts des hibakusha, le Traité de Hiroshima et de Nagasaki. Nous ressentons également une profonde gratitude envers l’Organisation des Nations unies, ainsi qu’envers les pays et les ONG qui ont promu ce traité, pour leurs actions volontaires et courageuses visant à faire disparaître toute forme d’inhumanité dans le monde.

 Mais ce traité n’est pas l’objectif final. À l’heure actuelle, il y a toujours près de 15 000 armes nucléaires dans le monde et la situation internationale autour de la question des armes nucléaires continue d’entretenir les crispations. L’inquiétude grandit concernant la possibilité qu’un pays utilise une arme nucléaire dans un futur proche. De plus, les pays détenteurs de la force nucléaire se sont opposés à ce traité. Cela signifie que le chemin qui mène à un monde sans armes nucléaires, celui que nous désirons tant, est encore long. La question qui se pose maintenant à l’humanité dans son ensemble est de savoir comment utiliser ce traité, qui est enfin à notre disposition, pour avancer sur ce chemin.

 J’en appelle aux pays détenteurs de l’arme nucléaire et aux pays se trouvant sous leurs parapluies nucléaires.

 Tant que nous continuerons à dire que les armes nucléaires sont nécessaires pour garantir la sécurité, la menace nucléaire ne pourra pas disparaître. Il est temps de revoir les modèles politiques visant à protéger les pays au moyen de ces armes. Le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) aurait dû contraindre tous les pays signataires à réduire leur arsenal nucléaire. Je vous demande que vous respectiez cet engagement. Le monde attend que vous preniez des décisions courageuses.

 J’en appelle maintenant au gouvernement japonais.

 Alors que vous vous êtes placés à l’avant-garde du combat pour un monde sans armes nucléaires et que vous avez déclaré souhaiter être un pont entre les pays détenteurs d’armes nucléaires et ceux qui n’en possèdent pas, vous n’avez même pas participé aux négociations du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. C’est quelque chose de difficile à comprendre pour ceux qui vivent dans les régions touchées par les bombardements nucléaires. En tant que seul pays à avoir subi les ravages de telles armes, je vous demande de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour participer au plus tôt à ces négociations et de revoir votre politique de défense qui dépend d’un parapluie nucléaire. La communauté internationale attend que le Japon participe au processus de ce traité.

 J’attends également que vous réfléchissiez dès maintenant aux conditions d’un traité pour une « Zone Asie du Nord-Est exempte d’armes nucléaires » afin de déclarer au monde le respect du caractère pacifique de la constitution japonaise, qui stipule sans ambiguïté que le Japon ne doit plus jamais participer à une guerre, ainsi que de ses Trois Principes Non Nucléaires. Cela représente une mesure concrète qui va dans le sens d’un monde sans armes nucléaires.

 Nous ne pourrons jamais oublier le fait que le 9 août 1945 à 11 heures et 2 minutes, une bombe atomique a explosé dans le ciel juste au-dessus de la colline où nous nous tenons aujourd’hui tuant et blessant 150 000 personnes.

 Ce jour-là, l’incroyable déflagration et l’onde de chaleur de l’explosion atomique ont réduit toute la ville de Nagasaki en un champ de cendre. Toute la ville est devenue une scène digne des enfers. De nombreuses personnes erraient à la recherche des membres de leur famille alors que leur peau tombait en lambeaux. Des mères se tenaient hagardes et hébétées aux côtés de leurs enfants calcinés. Nombreux sont ceux qui sont morts par manque de soins appropriés. Et 72 ans après, les victimes du bombardement sont encore aujourd’hui rongées par les dommages causés par les radiations. Les bombardements nucléaires ne volent pas seulement aveuglément la vie de nos proches, famille et amis, ils altèrent aussi cruellement la vie future des survivants.

 Je demande aux dirigeants de tous les pays du monde de venir visiter les régions touchées par les bombardements nucléaires.

 Je vous demande de changer de perspective et de ne plus regarder le champignon nucléaire de loin, mais de voir avec vos yeux, d’écouter avec vos oreilles et de ressentir avec votre cœur ce qui s’est réellement passé sous le champignon et à quel point les armes nucléaires ont cruellement enlevé toute dignité aux victimes. Demandez-vous ce que vous ressentiriez si c’était votre famille qui s’était trouvée là.

 Les personnes qui ont subi des expériences extrêmement douloureuses ont tendance à refouler leurs souvenirs et à ne pas raconter ce qui s’est passé. Car pour pouvoir raconter, il faut d’abord faire remonter ces souvenirs. Malgré cela, les hibakusha ont choisi d’endurer les douleurs physiques et psychologiques pour nous raconter leurs expériences, parce qu’en tant qu’être humain ils ont décidé de nous transmettre leurs souvenirs le plus fidèlement possible afin de protéger notre avenir.

 J’en appelle à toutes les personnes du monde entier. Le plus terrible serait de ne pas s’intéresser et d’oublier. Nous devons prendre le relais des personnes qui ont vécu la guerre et des hibakusha afin de transmettre le témoin de la paix aux générations futures.

 En ce moment a lieu à Nagasaki la conférence générale des Maires pour la Paix. Ce réseau de maires de près de 7400 villes à travers le monde comprend des représentants de nombreuses villes qui ont un passé douloureux de conflits ou de guerres civiles. Comme nous l’ont montré les hibakusha, en se rassemblant et en persévérant même les petites villes peuvent transformer leur souhait d’œuvrer pour la paix en une force capable de changer le monde. C’est cela que nous voulons dire au monde, ici à Nagasaki, avec tous les participants à la conférence générale des Maires pour la Paix. Cette conférence démontre également que le souhait constamment exprimé par les hibakusha de faire en sorte que Nagasaki soit le dernier endroit touché par une arme nucléaire représente une volonté et un désir communs à toute l’humanité.

 La moyenne d’âge des hibakusha dépasse maintenant 81 ans. Le monde s’apprête à entrer dans « une ère sans hibakusha ». Je demande au gouvernement japonais d’apporter encore davantage d’aide aux hibakusha et de porter assistance aux personnes ayant vécu les bombardements nucléaires.

 Cela fait maintenant 6 ans qu’a eu lieu l’accident du réacteur nucléaire de Fukushima. En tant que ville ayant souffert par le passé de l’exposition aux radiations, Nagasaki continuera à se rapprocher des victimes de Fukushima et à les soutenir.

 Nous, les citoyens de Nagasaki, offrons nos plus sincères condoléances à ceux qui ont perdu la vie lors d’un bombardement atomique. Nous déclarons par la présente que, unis à toutes les personnes souhaitant voir disparaître les armes nucléaires dans le monde, nous continuerons à utiliser toutes nos forces pour parvenir à un monde sans armes nucléaires et à la réalisation de la paix éternelle.

Tomihisa Taue
Maire de Nagasaki
9 août 2017

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